mercredi 25 mai 2011

De la nécessité de la sociologie du sport

par Michel Caillat

   Deux exemples récents  prouvent la nécessité de la sociologie du sport et de la mise en question du phénomène social majeur de notre époque. Le sport qui sature notre temps et notre espace avec ses discours, ses pratiques et son idéologie mérite mieux que ces incessants et insignifiants bavardages écoutés et lus ici et là.
    Premier exemple : le voyage privé en Tchétchénie d’Alain Boghossian, le bras droit de Laurent Blanc. La Fédération  sermonne le fautif coupable d'avoir participé à un match amical à Grozny (Tchétchénie), organisé par le leader "controversé" de cette République du Caucase russe, Ramzan Kadyrov. Quand on sait que la FFF a cautionné, depuis sa création, tous les voyages dans les pires régimes et en premier le déplacement dans l’Argentine du dictateur  Videla pour disputer la Coupe du monde 1978, le mot hypocrisie semble le plus adapté. Mais surtout, ne le dites pas : le sport est pur, loyal, fraternel et... facteur de paix, d'amitié et de cohésion sociale.
   Deuxième exemple : la double victoire des footballeurs de Lille qui conduit à parler d'Orléans, ville où le maire UMP qui a fait de l’équipe de basket son jouet, a décidé de construire une grande salle Arena. Délire sur tous les plans : plus de 100 millions d’euros pour avoir un équipement qui fera mourir le Zénith situé à deux km et qui fait d’Orléans, ville de 150 000 habitants, la plus petite ville au monde à vouloir ce type de salle. Orléans est au niveau de Londres et Berlin. Quel prestige, quel honneur ! Or, l’opposition se tait depuis près de deux ans ; il est vrai que la région Centre présidée par le “socialiste” François Bonneau, est prête à allouer 12 millions d'euros. Pour la dite gauche, il est sans doute difficile de critiquer l’Arena d’Orléans quand la possible future présidente de la République  “communie” avec les “merveilleux supporteurs lillois” et leur promet le grand stade “générateur d’émotions”, slogan du site lillois qui rejoint d'ailleurs le slogan de l’OLB (Orléans Loiret Basket) “créateur d’émotions”.
   Comme si les slogans et les émotions ne pouvaient pas être discutés.
   Comme si le comportement des foules lilloises en particulier et sportives en général ne pouvait pas être étudié. Toutes les analyses faites sur les foules (de Reich à Chomsky en passant par Canetti) ne valent évidemment jamais pour le sport
   Une question se pose : qui méprise le peuple ? Celui qui lui donne ce qu'il veut ou celui qui croit en ses facultés de comprendre une analyse et de forger son propre jugement ?
   Mais nous avons tort puisque nous voulons réfléchir et dialoguer. On ne dialogue pas avec le diable dit anti sportif qui méprise les gens. Le sport n'est pas un "fait social total" aux multiples implications politiques, économiques et idéologiques. Il est, il va de soi, il est incontournable et indiscutable. C'est le raisonnement général, de l’extrême droite à l'extrême gauche.
   L’Arena – comme le stade de Lille - est un beau projet ; on le financera “coûte que coûte”, tout le monde paiera (petites associations, contribuables) pour encourager le sport spectacle, et pour faire des adorables citoyens-électeurs les spectateurs passifs d’affrontements sublimes entre millionnaires adulés.
    On peut avoir une autre idée de la société. Que dis-je ? Il n’y a pas d’autre société possible...
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(1) L'actualité permettrait de faire état d'autres événements qui mériteraient une analyse. Par exemple le fait qu'une télévision publique  bouleverse ses programmes à 20h le mardi 24 mai pour retransmettre un match du premier tour du tournoi de Roland-Garros opposant un Français évidemment, Gilles Simon, à un illustre inconnu, l'Américain Michael Russell. Ne dites pas que le sport est un opium du peuple, vous seriez immédiatement qualifié de marxiste et banni.

vendredi 13 mai 2011

Le terrible consensus

"Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue"

                                                                   Simone de Beauvoir
         
Par Michel Caillat

   Le débat sur l’affaire dite des quotas aura permis de voir une nouvelle fois comment le débat sur le sport est esquivé. La communauté sportive a fait bloc pour tenir le discours habituel sur les prétendues valeurs du sport, ses dévoiements et ses excès. Comme nous l’écrivons souvent, “l’amoureux du sport cherche non seulement à ce que le consensus porte sur les valeurs du sport mais aussi sur les frontières qui circonscrivent le débat”. Et les médias dans leur très grande majorité alimentent le discours de sens commun qui plait aux sportifs et n’est que très rarement discuté par les non-sportifs (pour eux, le sport est “hors sol”).
    Le fléau principal n’est pas là où l’on pense : il est dans cette volonté de sauver le football et le sport en toutes circonstances en parlant de perversions, de déviations, de détournements sacrilèges. Or, la question majeure est la suivante : le racisme du sport est-il un détournement sacrilège ou le produit de la pratique sportive (dite de compétition) ? Que nous enseignent l’histoire et la sociologie de l’institution ?
    Le sport ne meurt ni de ses morts ni de son racisme. Pire, il les intègre à son spectacle sans jamais remettre en cause ses propres fondements.
   Nous connaissons la riposte de nos adversaires: “Vous êtes extrémistes”. C’est le seul argument de ceux qui n’en ont pas, et qui refusent consciemment ou inconsciemment tout débat sur le sujet. Pour eux, le sport n'est pas un phénomène social ; il est, il va de soi, il est incontournable et indiscutable.
Nous avons tort puisque nous voulons dialoguer.
   En sport, le scandale est de parler d’un Idéal (l’esprit sportif, l’idéal olympique), cette pure construction idéologique.
    Et ce qu’il y a de scandaleux dans ce scandale, c’est qu’on s’y habitue. On s’habitue au fossé toujours plus grand entre ce qui est et ce qui est dit de ce qui est.
En sport, on s’habitue à la collusion avec les pires régimes (fascisme, nazisme, dictatures), on s’habitue à l’argent fou, on s’habitue aux inégalités scandaleuses, on s’habitue à la casse physique et mentale principalement chez les jeunes, on s’habitue à la tricherie, à la corruption, au dopage, on s’habitue au racisme et au sexisme, on s’habitue au mensonge et aux idées reçues (le sport facteur d’intégration, de liberté, de fraternité, de loyauté, de pureté, etc.), on s’habitue à l’anti-intellectualisme.
   En sport, le scandale est la censure des uns, le silence et l’aveuglement des autres.
   Si tu veux être écouté aujourd’hui il faut créer... le scandale (au sens minuscule de “buzz”). Mediapart a su le faire.
   Débattre sérieusement sur le sport, ses fonctions, ses valeurs, son idéologie, c’est beaucoup moins porteur...